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mardi 28 août 2018

Palas de Rei – Azuar





Samedi 20 septembre 2014 :  Palas de Rei – Azuar :  30km


   Hier, lors du dîner, Marie-Jeanne nous avait annoncé que compte tenu des douleurs qu’elle avait ressenties durant toute la journée, elle ferait l’étape d’Azuar en bus. Cela a paru une sage décision d’autant que ce parcours est donné sur nos guides pour une trentaine de kilomètres.  Gaby avait prévu de l’accompagner et c’est donc seul que je reprends le chemin ce matin.  Compte tenu de la distance à parcourir, j’avais programmé le réveil avec une heure d’avance par rapport à l’horaire habituel.
   Lorsque je me mets en route, c’est encore la pleine obscurité, ce que nous n’avions jamais connu jusqu’alors étant donné l’heure à laquelle nous avions pris l’habitude de nous lever. Passé les réverbères de la ville, il m’est impossible de distinguer l’extrémité de mes godillots. Pour trouver ma route et repérer les marques jaunes à chaque croisement il m’aurait fallu, ou une frontale, dont malheureusement je ne dispose pas, ou alors suivre un groupe de pèlerins. Mais à cette heure pas le moindre jacquet en vue, le Camino est complètement désert.  En fait, à y réfléchir maintenant, je comprends que j’ai mal choisi mon heure ; je me trouve entre deux vagues de pèlerins : les lève-tôt qui quittent les albergues à 5 heures du matin et qui sont déjà loin devant, et les lève-tard qui n’ont pas encore pris le désayuno. Vu le monde que l’on côtoie quotidiennement, je n’avais même pas imaginé que je pourrais me retrouver au petit matin à pérégriner seul dans les ténèbres. Néanmoins je poursuis mon chemin, m’aidant dans les passages délicats de la torche de mon smartphone, jusqu’à rencontrer deux dames de Nantes, beaucoup mieux équipées que moi pour la marche nocturne et qui m’accompagneront jusqu’aux premiers rayons de soleil. Merci mesdames pour avoir éclairé mes pas. 
   L’étape est longue mais pas ennuyeuse du tout. Pas un seul kilomètre sans avoir à admirer, ici un horréo original, là un pont à arches permettant de franchir un Rio ou encore plus loin un corredoira fait de larges pierres plates posées en équilibre au-dessus de l’eau. Je fais une petite pause à Furelos, un  village médiéval, le temps de découvrir le musée des traditions galiciennes. J’espérais pouvoir visiter  la petite église San Juan.  Elle a pour particularité de présenter un Christ crucifié dont un des bras décloué pend le long de son corps. Malheureusement ce matin c’est « cerrado » (fermé) ! Tant pis.
   Vers midi je parviens à Melide. Une ville relativement importante qui compte près de 10.000 habitants. Ici se rejoignent le Camino Frances et le Camino Primitivo qui vient d’Oviedo. Autant dire que la fréquentation du chemin va encore gonfler ! Elle gonflera encore à Azuar, car dans cette ville, il y a la jonction avec le Camino Norté, celui qui vient de San Sébastian  longeant  au plus près  la côte nord de la péninsule. Je retrouve Gaby et Marie-Jeanne qui ont pris le bus ce matin pour Azuar et qui ont fait une halte ici pour déjeuner. Je ne les accompagnerai pas, pas même pour boire un café. Je prendrai un bocadillo un peu plus loin, car je suis encore loin du but et pour moi l’important du moment consiste à avancer. 
   Le soleil a maintenant atteint le zénith et la température a fortement grimpé. Je fais une courte pause, le temps de quitter une épaisseur d’habit et de croquer une barre de céréales, puis je reprends ma marche. Quelques kilomètres plus loin, pas moins de deux, voulant prendre une photo, je réalise que je n’ai plus mes lunettes devant les yeux. En pareil cas on cherche dans les poches, rien, dans  le sac, pas davantage. Alors on réfléchit. On repasse le film des derniers kilomètres. On s’interroge : j’ai fait quoi dernièrement ? Ah oui, le tee-shirt que j’ai enlevé en le passant par la tête. Tous mes gestes me reviennent à l’esprit, et je me vois encore déposant les lunettes sur une pierre plate tout près d’un conteneur à ordures ménagères. Il n’y a pas de temps à perdre, il faut vite repartir. Je fais demi-tour et rebrousse chemin. Je croise alors les pèlerins, ceux qui sont dans le bon sens. Ils pensent bien évidemment que je rentre de Santiago et que je regagne mon village. Je l’avais imaginé lorsque j’avais rencontré un pèlerin sur le retour, mais là, pour le vivre à l’instant, j’en ai la certitude : il est moralement et psychiquement éprouvant de revenir de Santiago, de supporter ces regards, même s’ils sont le plus souvent admiratifs, de devoir expliquer, réexpliquer toujours la même chose : d’où on  vient, où l’on va.  Mais dans mon cas je ne mérite aucune admiration, aucun compliment, je n’ai rien à expliquer, si ce n’est que je suis à la recherche de mes verres. Je suis impatient, je file, je trace,  j’évite les regards, les questions, je n’ai à ce moment qu’une pensée en tête : vais-je les retrouver ? Je disais que le chemin faisait des miracles. Aujourd’hui, il en a fait un de plus, car de loin, je les aperçois, elles sont toujours là, sur la pierre plate au-dessus de laquelle je me rappelais les avoir posées. Pas moins de 50 personnes sont passées à côté, les ont frôlées sans jamais les écraser. Petit miracle certes, mais quelle satisfaction pour moi !
    Je reprends le chemin dans le bon sens après cette péripétie qui se termine bien, mais qui néanmoins m’a coûté  4 kilomètres. Il est 14 heures lorsque je parviens à Castaneda, l’heure de penser à déjeuner. Dans un bar je prends un bocadillo accompagné d’une bière. À la table à côté, je retrouve une vieille connaissance. Un gars qui nous suit depuis bon nombre d’étapes et qui tous les soirs cherche des pèlerins pour lui tenir compagnie, le temps du repas. Pour avoir dîné un jour à une table voisine de la sienne, nous avions vite compris qu’il faisait partie de ces pèlerins à éviter. Un monsieur « je sais tout ». Ce soir-là, il avait pris dans ses filets un couple de Canadiens et a occupé tout le temps du dîner à leur réciter des fables de La Fontaine. Ahurissant !  Les pauvres, ils ne pouvaient pas en placer une qu’il repartait sur une autre fable. J’aime les fables, j’aime La Fontaine, mais de là à en faire l’unique sujet de conversation d’un dîner sur le Camino, loin s’en faut ! Donc depuis cette soirée nous évitions toute proposition de sa part, tout en restant, bien évidemment, corrects à son égard. Ici, il déjeune avec une dame. C’est encore lui qui anime le repas. Prêtant une oreille, je traduis  qu’il s’agit de  son épouse et qu’ils viennent tout juste de se retrouver à Mélide. Elle a fait le Primitivo, lui le Camino Frances. Je comprends qu’elle ait voulu marcher seule : la pauvre ! Elle doit connaître les fables par cœur !

 

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