Vendredi 13 septembre 2013 : Najera - San.
Domingo de la Calzada : 21,3 km
Ce matin, à
l’heure de partir, Marie-Jeanne ne semble plus souffrir de son genou. Est-ce une conséquence des évènements d’hier
soir ? Peu importe, ne cherchons pas trop les raisons, c’est bien le résultat
qui compte ! Un petit désayuno en sortant de Najera et c’est parti pour 21
kilomètres. Ici le fléchage est particulier, de hauts poteaux en bois nous
indiquent la distance restante par rapport à Santiago. Le premier d’entre eux
affiche 580 kilomètres. Je me souviens alors qu’en partant du Puy-en-Velay, une
plaque de rue donnait Compostelle à un peu plus de 1500 kilomètres. Je réalise
alors que nous en avons déjà parcouru 1000 et à pied, la distance Lille –
Marseille, incroyable !
Aujourd’hui encore le temps est magnifique et
de plus la météo annonce un minimum de 10 jours de soleil. C’est formidable,
surtout quand on pense que depuis Le Puy-en-Velay nous avons connu moins d’un
jour de pluie. Malheureusement, à lire certains récits, tout le monde n’a pas
eu cette chance.
De temps à autre, il arrive que l’on rencontre
des pèlerins sur le retour. C’est le cas aujourd’hui, nous en croisons un qui,
tenez-vous bien, est parti il y a 2 ans d’une région de l’Himalaya et qui y
retourne. Chapeau bas ! J’aurais aimé lui demander pourquoi cette
démarche, pourquoi ces milliers de kilomètres, et lui poser tant d’autres
questions qui me viennent à l’esprit, sa religion, sa vie là-bas, mais c’eût
été bien indiscret de ma part et la langue ne m’aurait pas permis de saisir
toutes les nuances de sa réponse, alors je m’abstiens et le regarde simplement,
admiratif, s’éloigner de nous. Buen volver ! (bon retour)
À Azofra nous avons
le choix de poursuivre ou alors de faire le détour par San Millan pour y
découvrir les monastères de Suso et Yuso, encore deux autres demeures bien
chargées d’histoire. Nous faisons l’impasse, car il faudrait ajouter 12
kilomètres à une étape qui en compte déjà près de 22. Nous poursuivons donc et
profitons du village pour faire le ravitaillement quotidien. À mesure que l’on progresse, le paysage
se transforme, les vignes se raréfient au profit des cultures céréalières. Nous
sommes déjà en train de quitter la Rioja, dommage, nous nous étions bien
habitués à son vino tinto.
Au sommet d’une
côte, vers une aire de pique-nique, deux jeunes gens ont installé un étal pour
distribuer gratuitement aux pèlerins boisson et nourriture, une belle démarche
et une autre manière de faire le chemin. Nous nous y arrêtons, car c’est heure
du déjeuner. Une dame, qui paraît bien handicapée pour marcher fait de même,
mais rapidement, s’effondre en larmes. Marie-Jeanne va voir si elle a besoin
d’aide et en quoi elle peut lui être utile. La dame lui explique alors qu’elle souffre atrocement d’une hanche
depuis qu’elle a fait un faux mouvement ce matin, en descendant d’un lit à
l’albergue. Elle s’appelle Myriam, elle est partie de chez elle à Chambéry il y
a deux mois. Les deux jeunes lui ont proposé de la conduire à San Domingo où
elle pourra se faire soigner.
Plus loin, nous
passons à proximité d’un golf et d’un ensemble de maisons de villégiature. Il y
en a peut-être une centaine, mais toutes sont vides, volets clos, et pas âme
qui vive dans le village. Encore un de ces investissements irraisonnés qui
furent très nombreux en Espagne avant que la crise porte un coup fatal à tous
ces beaux projets de promoteurs.
Enfin nous
parvenons à San Domingo. Il est 15
heures lorsque nous poussons la porte de l’hostal Rey San Pedro dans lequel nous
avons réservé pour la nuit. Comme la plupart des gîtes privés sur le Camino,
les hébergements sont très propres, bien équipés et bien tenus, néanmoins ils
ont souvent le même défaut : l’insonorisation qui laisse vraiment à désirer.
Nous découvrons la
cathédrale qui abrite le tombeau de San Domingo, à qui l’on doit, entre autres
bienfaits, d’avoir construit une chaussée (calzada)
pour traverser les terrains marécageux. Sa sépulture repose au centre d’une
petite chapelle. Sur le couvercle, un
gisant représentant le Saint, sa nuque posée sur des coussins, et bordé
de six petits anges : deux à la tête, deux au niveau de la ceinture
et deux autres aux pieds. Un peu plus
loin, et plus étonnant, nous remarquons,
derrière une grille joliment ouvragée, deux poules vivantes. Nous approchant
davantage, nous constatons qu’il s’agit plus précisément d’une poule et d’un
coq, au plumage d’un blanc immaculé. Si nous ne connaissions pas l’origine de
leur présence ici, au beau milieu de la cathédrale, nous serions peut-être
tentés de chercher l’endroit où il faut mettre la pièce pour faire chanter le
coq. Non, il ne s’agit pas d’automates, mais bien de gallinacés en chair et en
os qui depuis des siècles, à raison d’une relève tous les quinze jours, sont là pour rappeler la légende du pendu, dépendu :
« En 1130,
Hugonel, jeune pèlerin germanique en route avec ses parents vers Saint-Jacques-de-Compostelle,
passa
la nuit dans une auberge
de Santo Domingo de la Calzada. Une jeune servante lui fit des avances, qu’il repoussa. Éconduite, elle
cacha dans son bagage de la vaisselle d'argent. Au moment du départ, elle
l’accusa du vol du plat. Il fut condamné et pendu
pour ce vol qu’il n’avait pas commis.
Les parents éplorés continuèrent
leur pèlerinage et prièrent saint Jacques. À leur retour de
Compostelle, ils l'entendirent leur dire du haut du gibet qu'il vivait, car
saint Jacques le protégeait. Émerveillés, ils s'adressèrent au juge qui était
en train de déguster un coq et une poule rôtis, et qui leur répondit avec
ironie : « Si votre
fils est vivant, cette poule et ce coq se mettront à chanter dans mon
assiette. » Ce qu’il advint, le coq chanta et la poule caqueta. Le
juge bouleversé fit dépendre le jeune homme et pendre à sa place la fautive.»
Une petite
promenade dans la ville nous permet de découvrir la Plaza Mayor, l’ancien
hôpital des pèlerins devenu Parador, et les remparts. À une terrasse nous
retrouvons Myriam, la dame de Chambéry. Elle a décidé de faire une halte de un
ou deux jours pour donner à sa hanche le temps de guérir. Nous prenons le dîner
avec Christelle et Jean-Patrick, nous plaisantons, nous racontons des histoires
belges, lui pour ne pas être en reste, des histoires françaises. L’ambiance est
bon enfant.
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