Vendredi
12 septembre 2014 : El Acebo – Ponferrada : 16
km
La nuit n’a pas été très reposante, car sur
le matin il y a eu beaucoup de bruit occasionné par des départs matinaux. Bien
que notre hébergement soit situé dans un bar, il n’y a pas de désayuno sur
place, le personnel n’arrivant pas avant 9 heures. Nous prenons un café au
distributeur situé au rez-de-chaussée ainsi que deux madeleines, ce qui devrait
nous permettre de tenir quelques heures. Nous reprenons notre descente vers
Molinaseca. Le profil du parcours n’a pas changé, la pente est toujours aussi rapide,
il convient de maintenir la vigilance. Marie-Jeanne commence à craindre
sérieusement pour ses genoux : pourvu que ça tienne ! Peu après le
petit village de Riego de Ambros et son ermitage de San Sebastian, le chemin se
transforme en un goulet étroit avec de grandes pierres plates qui affleurent le
sol. Heureusement, il n’a pas plu depuis plusieurs jours et les chaussures
accrochent bien sur la roche.
C’est
ici que nous sommes rattrapés par un de ces marcheurs qui avalent les
kilomètres sans compter ; celui-là n’est pas tout jeune, certainement la
soixantaine passée mais il affiche une corpulence de grand sportif ; vêtu
tel un marathonien : short flottant, tee-shirt près du corps et chaussures
basses, on est presque étonné qu’il n’ait pas un dossard sur son maillot. Il a
dû nous reconnaître comme étant de ses compatriotes alors il s’arrête quelques
instants à notre hauteur, juste le temps d’échanger quelques mots. Il nous
explique qu’il marche en moyenne 70 kilomètres par jour : une
bagatelle ! Je m’interroge alors : « peut-on encore appeler ce genre d’individu un pèlerin ? ».
Molinaseca |
Le Chemin est à l’image de la vie, on y rencontre
parfois des gens surprenants, tel un autre qui me disait être parti il y a deux
mois de Paris avec 200 euros en poche, sans autre moyen de paiement et n’avoir à ce jour rien dépensé,
m’expliquant dormir sous sa tente et se nourrir de végétaux cueillis sur les
bas-côtés : des fruits s’il en trouve, mais également certaines
plantes particulières qu’il avait appris à connaître dans des livres
spécialisés ; il semblait avoir un faible pour les jeunes pousses d’orties :
bon appétit pérégrino ! Quelquefois, lorsque l’occasion se présente, il pousse
la porte d’une boulangerie pour demander du pain de la veille, celui que le boulanger
a déjà mis en sac pour donner à l’éleveur de porcs du village. Dans un registre un peu différent, mais tout
autant décalé, un autre pèlerin m’avait
raconté qu’il ne marchait que la nuit et se reposait le jour ; les gîtes
étant fermés la journée, il étalait son matelas de randonnée à même le sol
ou sur un banc public, dormait jusqu’à
l’heure du dîner puis se mettait en route. Je ne lui ai pas demandé où il prenait
la douche, mais ce qui est sûr c’est qu’il ne sera dérangé ni par les
ronflements des autres ni par les punaises de lit !
En milieu de matinée nous découvrons Molinaseca,
un petit bourg aux maisons colorées et aux toits d’ardoises. Après une brève
halte à l’église de la Virgen de las Angustias (la Vierge des angoisses), nous
poursuivons notre marche pour rejoindre le centre de la ville. Un magnifique
pont à 4 arches, dont les reflets dans l’eau sont du plus bel effet, permet de
franchir le Rio Meruelo. Nous prenons un petit déjeuner, un vrai, avec
croissant, pain et confiture, avant de continuer vers Ponferrada que nous atteignons vers midi.
Un Pont médiéval à larges arches romanes
nous donne accès à la ville et nous sommes immédiatement frappés par cet
imposant château qui domine la cité. Il est l’œuvre des Templiers qui se sont installés à
Ponferrada en 1182.
Connus
pour avoir participé aux croisades en accompagnant et en protégeant les pèlerins sur le chemin de Jérusalem, les
guerriers de l’Ordre du Temple le sont un peu moins pour leur rôle dans la
péninsule ibérique où ils ont pourtant été très actifs. Appelés par le roi Léon
Ferdinand II pour combattre les Maures lors la Reconquista en repoussant vers
le sud l’envahisseur musulman, ils ont également apporté sécurité et
assistance aux jacquets de l’époque qui traversaient l’Espagne de la Navarre à
la Galice. Beaucoup de vestiges témoignent de leur présence dans ces provinces,
de nombreuses commanderies mais également des hôpitaux comme celui de Puente la
Reina ; le château de Ponferrada constituait une de leurs
implantations majeures.
Une
légende est d’ailleurs associée à la construction de cet édifice :
Vers l’an 1200, les templiers, sur ordre du
roi du Léon, entreprennent d’agrandir la forteresse qui n’était jusque-là qu’un
édifice rudimentaire. Abattant des chênes (encina) pour disposer de bois de
construction, ils trouvent dans l’un d’eux une sculpture de la Vierge Marie à
l’enfant qui avait été dissimulée autrefois avant l’attaque des envahisseurs
maures. Toribio, alors évêque d’Astorga, l’aurait ramené de Terre Sainte au
5ème siècle. La légende raconte que l’Enfant Jésus aurait crié alors que l’on s’apprêtait
à abattre le chêne.
La Virgen de la Encina a été proclamée en
1958 patronne du Bierzo.
Après un déjeuner pérégrino sur la place
Encina, nous continuons la visite de la ville, à commencer par la basilique de
Nostra Senora de la Encina avec sa tour baroque à quatre niveaux de colonnades,
puis la tour-porte de l’horloge qui
ouvre sur la place de l’hôtel de ville.
C’est là que nous rencontrons une pèlerine ukrainienne,
originaire de Kiev. Partie seule de chez elle il y a plusieurs mois, elle a
rejoint Compostelle à Bicyclette. Sur le retour elle a fait une
mauvaise chute sur des pierres et souffre atrocement d’un genou ce qui l’a
contraint à passer quelques jours de repos ici, à Ponferrada. Elle nous confie,
avec un air affligé qui traduit toute sa tristesse et sa peine, s’être
rendue à Santiago afin de prier pour son
pays dont le conflit actuel avec la Russie fait craindre le pire pour les
habitants. Moment émouvant pour nous, car nous sentions bien une vraie
sincérité dans ses propos. Cet échange illustre à merveille ce qu’est le Chemin : il
nous extrait pour un temps du quotidien, de l’actualité, nous permet de mettre
de côté certaines préoccupations, puis
parfois, à l’improviste, nous replonge brutalement
dans la dure réalité de la vie, de la vraie vie, celle que l’on commençait tout juste à oublier. Une rencontre qui n’aura
duré que quelques minutes, mais que d’émotions échangées et partagées en si peu
de temps !
La
visite achevée, nous gagnons notre
hébergement situé un peu à l’extérieur, en bordure de l’autoroute. Deux
magnifiques statues ornent les ronds-points : l’une représente des
dames travaillant les poivrons, c’est une activité importante de la région,
l’autre symbolise une goutte de sang, un
hommage à tous ceux qui par leurs dons, contribuent à sauver des vies.
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